vendredi, août 17, 2007

Crac Boum Hue

Tout cela, c'est la faute du H5N1, et pardon d'avance pour un lyrisme que certains trouveront mou et ennuyeux, mais il y a des vérités à dire et quand une histoire est belle et triste, il faut aussi le dire, n'en déplaise à la moustache.


Si un jour une personne bien attentionnée vous pose la question anodine suivante, mais au demeurant très intéressante dans un monde où le football est le sport universel de la culture populaire mondialisée, merci le monde, une question qui ne peut être dite que les sourcils froncés, les lèvres pincées, la main dans des cheveux hirsutes, et les jambes en coeur croisé plus que ça tu as mal: "Mais en fait, quel est le vrai premier meilleur joueur, celui dont on peut dire que l'Histoire, forte des Pelé et consors a oublié de célébrer le génie et le modernisme ??"


Qui dira que ce joueur est un martyr d'un vieux pays européen du début du siècle, hhmmm?? Personne. Et pourtant, si seulement...


Si seulement la mémoire collective pouvait se souvenir que la vie existait avant la deuxième guerre mondiale et que des personnes dignes de reconnaisance se cotoyaient dans de nombreux domaines, que ce soit en chimie (merci bien), physique (encore merci), finance (chapeau bas), automobile (ahah), diplomatie (sisi), sport (bien sur) et évidemment politique. Et je déclare que déjà, malheureusement pour celles et ceux qui ne le savent pas, le football, oui le football, religion des religions de ce merveilleux siècle qui a vu éclore le meilleur comme le pire des grands dictateurs et génocidaires, dont je ne citerai pas le nom, mais qu'on ne vienne pas me dire que Giscard était pacifique, aux linos marrons en passant par Mireille Mathieu. Ah génie humain que ce siècle fut doux et paisible comparé au Moyen-Âge et à ces barbares qui tuaient pour un morceau de terre. Mais je m'éloigne. Oui déjà avant la découverte du 2en1 douche-four à chaleur tournante, le football reflétait les tendances suicidaires de son époque, mais je m'avance cette fois.


Il fut un temps où un ancien empire européen disparu dans la Grande Guerre (la première, celle où la moutarde montait un peu trop au nez de certains poilus) a ressucité par ce sport le temps de quelques années, de quelques matches, dignes des légendes homériques. Cette équipe a montré du talent, du génie, emmenant le football dans une valse superbe, un souffle encore méconnu dont le diable en personne s'emparera sans laisser de prisonnier. Dire que l'Autriche a eu son heure de gloire dans le football relève soit de la psychiatrie profonde, soit de la psychiatrie très profonde. Mozart est mort, Musil et son homme sans qualités suivent le chant du cygne de la Marche de Radetsky, et Sindelar fait naître de ses cendres la légende d'une grande équipe. L'Allemagne, la Suisse, la Hongrie, la France, la Belgique (à l'époque une grande nation de ce sport...) et surtout l'Angleterre seront défaites sur des scores historiques. Nous sommes entre 1931 et 1933.


Sindelar en est le maître à jouer, le premier meneur de jeu moderne, et comble de sa maîtrise et de son talent, il est loué par les journalistes anglais à l'époque, qui croyaient pourtant que seule l'Angleterre jouait à ce jeu, par une définition que l'on attribue aux grands: "L'Autriche avait Sindelar. C'est une espèce de Rastelli. Mais ce que le jongleur italien fait sur une piste, lui est capable de le faire sur une pelouse tout en dirigeant l'équipe en même temps, en conduisant l'attaque et parfois en la concluant."


Mais l'époque...


L'époque est funeste.


Avant 1939, il y a 1933 et les vertus de la démocratie. Et avant 1936 (les JO de Berlin), il y a 1934 et les vertus du sport.


1934 donc et la deuxième Coupe du Monde, organisée par l'Italie, sous le haut et bienveillant patronnage de Benito. L'Autriche fait figure d'épouvantail de la compétition. Certains joueurs ont déjà émigré vers les sirènes du professionnalisme naissant et quitté l'Autriche, mais surtout l'Italie ne pouvait pas perdre sa Coupe du Monde... le sport a certaines fois des règles que les régimes imposent. L'Autriche rencontre l'Iatlie en demi-finale... pardon. L'Autriche doit perdre contre l'Italie en demi-fianle sinon c'est pas du jeu. Et dans une action décisive, c'est Sindelar qui se fait faucher dans la surface sur un but acquis, devant un arbitre suédois qui étonnament ne dira rien. L'italie se qualifie 1-0.


Un ange passe, sa chance aussi.


Cet ange pourtant avait le destin pour lui. C'est à 15 ans qu'il se fait repérer lorsque, simple spectateur de son équipe de quartier, il rentre pour faire le nombre de joueur. Nous sommes en 1918, un marque-page symbolique de son histoire. Dès le début des années 20, il devient l'un des piliers de l'équipe nationale, mais peu d'occasions sont données à l'époque en Autriche pour briller en dehors des matches "locaux" entre Vienne et Budapest, d'autant plus que l'Autriche n'enverra pas son équipe nationale en Uruguay pour la première Coupe du Monde en 1930. Pour ce grand joueur, pour cette grande équipe, pour tout ce que représente cette vision du jeu en avance sur les schémas en vigueur, il n'y aura donc eu que la Coupe du Monde 1934. La politique en a décidé ainsi et a scellé son sort. L'édition de 1938, organisée en France, est tellement loin, loin du sport, loin d'une compétition saine, qui pourrait incarner un idéal loin des considérations politiques, ethniques, ou bien sur religieuses.


Parce que oui Mathias Sindelar, en plus d'être Autrichien, était Juif, et cela était trop pour l'époque. Le Requiem de Mozart devait bien servir un jour à un compatriote de cette envergure. Il offrait comme note ouverture une Coupe de l'Europe centrale à l'Austria en 1936, et comme accord final, une victoire contre l'Allemagne 2-0, en Allemagne, dernier défi à l'histoire avant l'Anschluss. Mathias Sindelar, comme ses coéquipiers, ne fera pas partie de l'équipe d'Allemagne pour la compétition de 1938 en France. On ne reverra plus cette équipe, on ne reverra plus ces joueurs perdus dans la tempête nazie. Il ne reste pas beaucoup de documents de cette époque, comme de cette équipe, mais il y a un travail (diront "devoir" ceux qui veulent) de mémoire à faire vivre ce qu'un trait de barbarie a voulu effacer. Mathias Sindelar a été une des premières étoiles de ce sport dans un pays qui n'existait même plus le 22 janvier 1939, un jour où, de manière prophétique, il ouvrit seul chez lui le robinet du gaz.


Quelques jours plus tard, des dizaines de milliers de Viennois, Allemands de force et de fait, défiaient le pouvoir et défilaient derrière son cercueil.


Les ailes brisées, un ange passait.