lundi, octobre 27, 2008

Knocking On Heavens Door

Rien ne sert de se borner infiniment à la même décision. Il ne sera pas question aujourd’hui de football, mais d’un sujet plus simple et plus accessible pour tout le monde. Pas de hors-jeu, fini le hors-jeu. Suspense… vous vous dîtes déjà « Mais de quoi s’agit-il mon Dieu, délivre-moi de mon ignorance, mais pourquoi fait-il cela, et si je n’aimais pas le nouveau sujet ? »

Impossible

Alors ?

Saut en longueur

Saut en longueur ?

Oui, parfaitement.

C’est facile le saut en longueur. On court, on saute. Même en 1968, en octobre, à Mexico, pour les Jeux Olympiques, pour Bob Beamon. Qui ne connaît Bob Beamon ne connaît pas la définition des mots « exploit », « sidérant », « extraordinaire », « hallucinant », etc. Né le 6 août (c’est quand même la grande classe pour lui) 1946, ce jeune homme a modifié l’espace-temps, il a ralenti le temps et allongé les distances. De cette année agitée, il n’y a finalement que cet événement à retenir. Les 3 médailles de Killy à Grenoble, oubliées, Mai 68 et le Printemps de Prague, oubliés, ah si, une chose à retenir, la sortie d’un livre vérité de Milan Kundera dont le titre déclare enfin à la Terre entière comment doit être appréciée son œuvre : « La plaisanterie ». Sincère le gars, il faut bien lui reconnaître une chose. En 68, le général De Gaulle est toujours Président et donc la plupart des avenue et places des villes françaises n’ont pas encore de nom. Car oui c’est une question essentielle, comment s’appelaient toutes ces rues avant sa mort ? Bref.

Bob Beamon n’était pas favori de la finale olympique de saut en longueur. Il était jeune, et même si à l’époque il avait remporté 22 des 23 concours auxquels il avait participé, rien ne pouvait annoncer ce qui allait devenir pour les journalistes, « le premier record de l’an 2000 ». Mais les conditions étaient réunies, 23,5 °C, 42% d’humidité, 578 de pression atmosphérique (et toujours un avis de tempête sur Ouessant), 2 240 mètres d’altitude, et la vitesse du vent juste à la limite de validation à 2m/s dans le dos. Beamon a du mal à se qualifier pour la finale, il n’a obtenu son billet qu’à son dernier essai des qualifications avec un saut à 8m19, soit 16 cm en dessous du record de l’époque. Il est donc dans le ventre mou des participants jusqu'à cela... Il se présente en bout de piste, il s’élance, court vite, très vite, prend une planche parfaite, s’élève, s’élève très haut grâce à un double ciseau, et il reste en l’air. Oui il flotte, il s’arrête en l’air, prend la pause photo, salue la famille et les amis, se fait un sandwich, met un CD et s’allume une clope, tranquille. Il atterrit deux jours plus tard en Colombie, se fait enlever par les FARC, rencontre Ingrid Bétancourt, se marie et vit depuis heureux à manger des serpents. Reprenons.

Il est en l’air, retombe dans le sable, en ressort aussitôt satisfait de son saut. Satisfait puis surpris puis incrédule. Comme le public, comme ses 17 concurrents de la finale, comme tous les fameux juges en veste rouge. Il est 15h47, les premiers grondements de l’orage qui menaçait le stade se font enfin entendre. Le record du monde est à 8m35, l’appareil de mesure ne peut pas dépasser 8m75… et Beamon est plus loin, tellement plus loin. Les juges paniquent, s’attroupent autour du bac à sable, et sortent le décamètre. Le temps passe, Beamon debout à leurs côtés a déjà remis son pantalon de survêtement. L’Histoire attend son verdict.

Cela nous laisse un peu de temps pour dire que Beamon a eu une enfance difficile, violente que le sport l’a sauvé et qu’il a réussi l’autre exploit d’aller à l’université, pour un noir dans les années 60, c’est notable.

Ils vont annoncer le résultat. 8m90. 55 cm de plus que le précédent record, un record qui n’avait gagné que 22 cm en 32 ans, depuis Jesse Owens.

8m90. Les Dieux sont heureux, des trombes d’eau s’abattent sur le stade, le concours est tué. Le 2è est à 71 cm de Beamon. On pourrait ajouter « plus loin » à la devise olympique. Beamon danse comme un possédé, tombe à genoux, sanglote. Il réalise complètement lorsque un coéquipier vient lui traduire son saut en pieds, 29 pieds et 2 pouces et demi. Il vient s’asseoir à côté d’un journaliste et dit « Ca va très mal, j’ai envie de vomir, j’ai peut-être tué le concours mais ça m’a tué aussi. C’est impossible ce que j’ai fait. » Et oui Bob, on ne peut pas être plus lucide… raison sur toute la ligne. Tu n’approcheras plus jamais une telle performance. C’est l’histoire d’un saut, un saut interminable, ce jour-là l’ange était noir.

Quelques jours avant ce concours, le soviétique et futur ex-recordman du monde Igor Ter-Ovanessian avait dit : « Les limites humaines n’existent pas. Si un homme a pu conquérir l’espace, je ne vois pas pourquoi un autre homme ne franchirait pas bientôt plus de 8m50, ou 8m60. »

Eh Bob, chiche.

8m90.




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