jeudi, mars 20, 2008

Can't take my eyes off of you

Nous sommes maintenant en 1991, cela fait 17 ans... oui je viens de m'en rendre compte, 17 ans. Comme le temps passe, 17 ans que Gainsbourg est mort, par exemple. 1991 a été assez terrible pour la musique, quand on s'aperçoit que pour cette année de guerre, on a perdu Gainsbourg, Stan Getz, Miles Davis, Freddie Mercury, Yves Montand, pour un seul Klaus Barbie, on se dit qu'il vaut mieux être de la race des bourreaux, on a moins de chance de mourir en 1991. Statistiquement cela se défend.

Mais on n'est pas là pour parler de poupée (mouif...). Parlons de choses gaies, joyeuses, dénuées d'intérêt, de conséquence, quelque chose de léger, qui met de bonne humeur, qui donne envie de dire chante la vie, ris le monde, que les gens ne sont qu'amour et eau fraîche. Parlons de ce fameux printemps 1991, on commence à le sentir, le toucher, à l'imaginer flamboyant, en effet l'hiver bascule définitivement lors de cette soirée du 20 mars 1991, irrémédiablement, on est passé à un niveau supérieur, on commence à se dire que finalement ouais Mitterrand, c'est pas si mal. Allez on plonge.

20 mars 1991, les matches de coupes d'Europe sont à moitié cryptés sur Canal, et ce soir, malheureusement c'est le soir de Canal, donc ce sera sans les yeux, je n'avais pas Canal, donc ce sera avec les oreilles, ce sera Saccomano. Je fais tout de suite une petite parenthèse nécessaire, Saccomano, ce n'est pas un nom lancé au hasard, c'est un personnage historique des commentateurs sportifs de la radio française. Ceux élevés à la voix de Jacques Vendroux sur une radio concurrente ne peuvent pas comprendre ce que c'est d'écouter un match avec Sacco (les intimes l'appellent comme cela), la différence entre les deux, c'est comme si tu avais sur une scène Enzo Enzo ("Juste quelqu'un de bien"...) contre Lara Fabian (JJJJJEEEEEEUUUUUHHHHHHHH TTTTTT'AAAIIIMMMMMMMMEEEEEEUUUUUUUHHHHHHHHHHH!!!!!!!!!!!!!!!!!), c'est un combat qui n'est pas autorisé par la Convention de Genève. Sacco c'est Lara Fabian, avec moins de seins mais un plus grand nez, cette précision ne sert à rien, mais si mes messages servaient à quelque chose, on le saurait.

Donc je reviens sur le match que je m'apprète à vivre. C'est un quart de finale retour de la feue Coupe d'Europe des Clubs champions, un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître (on dira encore que c'est facile mais il n'y a rien de plus vrai que cela dans tout le reste du message, si si, si vous cherchez du vrai, du pur dans ce message, arrêtez-vous là), un temps où les clubs champions dans leur pays pouvaient participer, et de tous les pays, le Luxembourg compris. Cela n'a l'air de rien mais à l'époque on pouvait expliquer facilement à la gent féminine que les champions allaient en coupe des champions, les pas champions en Coupe UEFA et les vainqueurs de la coupe nationale en Coupe d'Europe des vainqueurs de coupe. Maintenant, non, c'est le bordel, et on exclut de ce fait les femmes du football, comment voulez-vous qu'elles comprennent ? Bref.

En témoigne superbement le parcours fantastique de l'OM cette année, puisque cette équipe a éliminé à la suite le Dinamo Tirana, et le Lech Poznan... Mais ce tour, Marseille joue Milan, le grand Milan, double champion d'Europe justement, mais cela ne voulait pas dire qu'ils ont été deux fois champions d'Italie, non parce qu'à l'époque le vainqueur de la coupe d'Europe était qualifié automatiquement pour l'année suivante même s'il n'avait pas été champion dans son pays. Ce qui ne l'empêchait pas de pouvoir l'être, champion dans son pays, mais ce n'était pas une obligation si tu gagnais l'Europe. Si tu étais champion dans ton pays et européen, alors c'est le 2è du championnat qui était qualifié, pour prendre la place du champion national, qui lui utilisait l'étiquette vainqueur de la coupe d'Europe pour participer à l'édition suivante. Facile, depuis c'est beaucoup plus compliqué.

Le grand Milan donc se dresse devant l'OM, avec ses Baresi, Maldini et les trois battaves de Gullit, Rijkaard et Van Basten. Marseille, c'était moins paillette, il faut le reconnaître, tu auras beau parler de Papin, Waddle ou Mozer, à côté tu as du Germain, du Amoros, du Olmeta et du Vercruysse. Heureusement Goethals était là. L'affiche est posée, et pour moi ce sera radio. Match aller à San Siro, 1-1, plutôt prometteur. Reste à assurer au Vélodrome. C'est jouable, le public est bouillant, la pression est là, le peuple pousse, la France se plaît toujours en David. La radio était à l'époque à côté de mon lit, je me couche donc vers 20h30, je suis prêt, je ne bouge plus, je respire à peine, je ne veux pas les déranger, seules mes oreilles dépassent, allez-y, commencez. La soirée va être longue et brutale. J'ai 9 ans, c'est la première vraie saison qui je suis de près en dehors de la cours de récré. Mes parents étaient jusque là contents que leur petite tête blonde ne joue pas au foot avec les autres gosses dans la rue, c'était pas bien, et que diraient les voisins si je fréquentais les autres qui travaillaient mal à l'école. Pour mes parents, ce n'était pas simplement une corrélation, mais une causalité prouvée par les faits, ceux qui jouaient au foot étaient des mauvais élèves. Le tennis, c'est tellement mieux.

Ce soir-là, un 0-0 suffit. Ah? oui. Mais pourquoi? comme il y a eu 1-1 à l'aller, s'il y a 0-0 au retour, ce ne fait toujours que 1-1 en cumulé, pourquoi un 0-0 suffit? Parce qu'un but à l'extérieur vaut davantage, et comme l'OM a marqué à l'extérieur à l'aller, ils peuvent se contenter d'un 0-0 au retour. Facile. Mais c'est un match dur, les coups pleuvent, à tel point que le héros de la soirée ne se souviendra pas de son but tellement il avait pris de coups. 17 ans après, il ne me reste que des détails, quelques détails seulement mais il y a d'autres choses, des choses qui font le souvenir inoubliable, comme un premier baiser, un premier amour... On peut revisiter la manière, pinailler sur le déroulé, sur des détails qui ne se sont pas produits mais qui, au fil des ans, sont devenus des vérités. Ce soir-là, j'étais le gamin le plus heureux, et pourtant je n'ai rien vu, je n'ai aucune preuve, j'ai tout imaginé et tout rêvé, et rien ne pourra l'altérer.

Je me rappelle la 75è minute, une minute dont on se souvient, comme plus tard une 43è, une 27è, une 45è, une 103è ou une 110è. Oui vous pouvez facilement vous moquer maintenant.

Pelé déborde sur la gauche, le Vélodrome se lève, Papin se démarque au centre, les bouches s'ouvrent, il prolonge le centre par une tête en arrière sur le côté droit, les respirations s'arrêtent, Waddle, lui le gaucher ailier droit, reprend du droit, les gens suffoquent, la balle rebondit plusieurs fois, la frappe n'est pas forte, les premiers malaises arrivent, elle glisse, file rebondit encore, les derniers en vie s'étouffent, Rossi, le gardien, s'étend ses 1m98, et seuls les survivants racontent, la balle glisse dans le petit filet. 1-0. D'outre tombe, les cris s'entendent encore. Le Milan, le Grand Milan, L'IMMENNNSSSSEEEEE MILAN, double champion machin-chose en titre doit marquer deux fois en 15 min. Marseille s'y voit déjà, Waddle a marqué du droit, comme si Thuram marquait deux fois dans le match, un du droit et un du gauche. Ouais c'est possible. Je passe sur les petits incidents de fin de match, la panne de projecteur du Vélodrome, l'équipe de Milan qui ne veut pas revenir sur la pelouse et qui vaudra aux Italiens la perte du match sur tapis vert, mais bon là seuls les statisticiens s'en souviennent.

Ce soir-là, j'avais un OM-Milan dans la tête, j'avais le match au pied de mon lit, les images m'appartenaient, c'était les miennes, ils avaient gagné pour moi, je pouvais m'endormir tranquille.


Conclusion: c'est con un gamin de 9 ans, tu lui offres une radio, il te laisse tranquille à partir de 20h30.