lundi, mai 18, 2009

Over the Rainbow

Lui, il doit bien être quelque part au-delà de l’arc-en-ciel, quelque part où enfin plus personne ne le rattrapera, puisqu’on ne voulait plus de lui ici et que personne ne l’a laissé tranquille ailleurs. Ce grand monsieur d’1m72 qui les a tous fait trembler à coups de pédale monstrueux, d’accélérations irréelles, de performances inhumaines. Levons le voile avant d’abaisser le rideau, Marco Pantani s’est très certainement dopé lors de ses plus belles années… comme si cela ne faisait plus de lui un homme. Au contraire.

Il était un homme de coups d’éclat, il était attendu sur certaines courses très particulières, celles où la pente est dure, celles où le cyclisme est une torture pour toute personne sensée. Et comme tout homme de spectacle, il a souvent répondu présent à la demande du public, qu’il soit sportif, enfant, en camping car, ou sirotant une bière devant la télé lors des chaudes journées du mois de juillet. Pour ce public hétéroclite, ses instants étaient magiques même pour ceux qui n’ont jamais fait de vélo, et pour cause, c’est dur le vélo, cela fait mal et il faut transpirer. La voiture, c’est tellement plus pratique, évidemment.

L’apogée de sa carrière n’a pas duré longtemps, par comparaison, elle a même duré moins longtemps que d’autres machines post-cancéreuses, c’est dire. Né en 1970, il se révèle progressivement chez les amateurs et signe son premier contrat pro en 1992 chez Carrera, l’équipe du meilleur Italien de l’époque, Claudio Chiappucci. Il explose et fait exploser les premiers chronos en 1994 dans les étapes de montagne du Tour d’Italie face aux cadors de l’époque, Indurain en tête. Il établit le record toujours actuel de la montée de l’Alpe d’Huez en 37’35. Le style est unique à commencer par ses grimaces de douleur, entretenu par un look… remarquable : oreille percée et bandana. Cette tenue lui vaut rapidement le surnom de Il Pirata, un surnom qui doit surtout effacer le premier qu’il traîne depuis sa jeunesse, Elefantino, en raison de ses oreilles décollées, véritable insulte à l’aérodynamisme si important dans son sport. Homme de coup d’éclat, il l’est de nature certes, il l’est également par défaut. Sa carrière a souvent été en pointillés à cause de nombreuses chutes que son corps frêle ne supportait pas. Il abandonne dans de nombreuses courses à étapes pour cette raison et est absent durant toute l’année 1996 à la suite d'une collision avec un chauffard.

Son heure de gloire arrive en 1998, pourtant une bien triste année pour le cyclisme avec le scandale Festina et le drame national causé par l’exclusion de Richard Virenque avant le départ du Tour. Un signe sans doute pour le petit Italien qui remporte cette année le Tour d’Italie en maillot rose et le Tour de France en maillot jaune, l’homme gravit déjà l’arc-en-ciel. Il gagne ces épreuves en creusant des écarts impressionnants dans les étapes de montagne et en limitant les pertes sur les contre-la-montre. L’enthousiasme était total, l’envoûtement, général. Son caractère de puncher le différenciait des traditionnels vainqueurs qui creusent des écarts dans les contre-la-montre et gèrent dans les étapes de montagne. Cela faisait plus de 20 ans qu’un pur grimpeur n’avait pas gagné le Tour et le public français pouvait se consoler qu’un grimpeur comme son chouchou exclu l’emporte. Et puis 1998… quelle meilleure année sportive pour soulever les foules en France. Et puis 1998… c’est aussi le 150è anniversaire de l’abolition de l’esclavage. On y reviendra.

Pantani est le cycliste de l’année, le 7è coureur de l’histoire à réaliser ce doublé. Personne n’aurait l’idée aujourd’hui, sauf quelques personnes proches de le folie, de revoir les étapes qu’il gagna, et pourtant Pantani était vraiment impressionnant. Quelles étaient belles ces étapes où tout le monde patientait pendant plusieurs heures, regardant les cols défilés, les stratégies se former, les favoris se déliter un à un, et lors de la dernière ascension, il laissait sur place les plus vaillants, accélérait, et perçait la foule toujours plus nombreuse au fur et à mesure qu’il volait vers les sommets, quand les autres roulaient simplement. Pantani, c’est un personnage qui colle à la manière de prononcer son nom : PANT-ani. Un coup sec, un seul. Lorsqu’on le regardait pédaler, on savait qu’il était humain, qu’il souffrait et pour le public, cela le rendait accessible, contrairement aux robots qui pédalaient des centaines de kilomètres sans la moindre expression, comme les Indurain, Ullrich, Armstrong. Il avait gagné le public.

Finalement il est rattrapé en 1999 par les affaires de dopage pendant le Tour d’Italie. Il est exclu à la veille de l’arrivée, alors qu’il était leader et vainqueur de quatre étapes. C’est un coup dur pour cet homme attendrissant, les médias lui tombent dessus, le traquent, l’accusent, lui qui ne cherchait que l’amour du public et n’était bien q’une fois assis sur sa selle. Il revient tout de même en 2000 sur le Tour pour ce qui restera son baroud d’honneur. Il menacera un temps Armstrong, le menacera seulement, mais l’Américain va encore plus vite. Il remporte le Mont Ventoux et Courchevel, avant de tenter une échappée solitaire dans l’étape de Morzine, en vain. En 2001, toujours pendant le Tour d’Italie, il est exclu pour une seringue d’insuline retrouvée dans l’hôtel de son équipe mais pas dans sa chambre. Il nia toujours. Cette intervention policière est restée célèbre sous le nom de Blitz de San Remo. Il revient en 2003, toujours chez lui, au Tour d’Italie, se montre aux avant-postes, en forme, pour un énième retour. Mais la sentence tombe rapidement : dans une volonté de rachat auprès du public et des sponsors, la société du Tour de France exclut à tour de bras les équipes douteuses, dont celle de Pantani. Pour lui sonne le glas. Il sombre peu à peu, se détache de la compétition, et descend les pentes des cols aussi vite qu’il les a monté à une époque. Il devient absent des compétitions de fin d’année, déprime, lâche prise, il s’est rendu compte qu’il ne sera jamais plus un champion adulé, sans être un champion soupçonné.

Pour tout le monde, c’est la fin de la carrière du grimpeur, pour lui, c’est un peu plus que cela. Porter aux nues, il ne résiste pas à la vindicte des médias et maintenant isolé, il ne sait pas si le public l’aime encore, ni quelle image il conservera de lui. L’époque est dure pour ceux qui se font prendre et les moyens de se défendre, inutiles. Plus que les autres, il sombre progressivement, il n’a jamais été la machine à gagner que le système a voulu qu’il devienne. Les cyclistes en sont les premières victimes, usés, drogués, poussés au-delà de leurs limites. Les sponsors investissent beaucoup et le retour sur investissement n’est visible qui si le maillot est au premier plan d’autant plus si le cycliste qu’il le porte est populaire. C’est l’esclavagisme moderne, même pour ceux qui comme quelques coureurs gagnent bien leur vie. En accuser un plus que l’autre serait ridicule, ils le paient assez de la sorte, dans tous les sports, dans tous les pays. Certains refusent d’entrer dans le jeu, ils ne vivront jamais de leur passion de jeunesse. D’autres ont le cerveau tellement lavé qu’ils ne savent plus ce qui est bien ou pas, ils font ce qu’on leur dit de faire. Enfin il y a ceux qui se réveillent en pleine chute et se rendent compte qu’il est trop tard, que le rêve est passé. Pourquoi Pantani s’est réveillé ? Il n’a pas eu l’entourage comme certains ni les faveurs de médias au moment où il en aurait eu besoin. Au début des années 2000, il fallait du sang neuf, de nouvelles têtes pour symboliser le changement de cap du cyclisme. 10 ans après, tout le monde s’est trompé et ce sport est encore régulièrement dans la rubrique des faits divers, la dernière qu’a connue Marco Pantani. Il n’a pas supporté la séparation physique avec son public, il ne voyait plus dans leurs yeux qu’un définitif « Je ne t’aime plus, Marco ». Du monde du spectacle cycliste, il est passé au monde artificiel, mauvaises fréquentations, drogues…

7 mois après l’exclusion de son équipe du Tour 2003, il meurt dans une chambre d’hôtel, seul, victime d’une overdose de cocaïne, selon les rapports. C’était à Rimini, une ville qui ferait passer Valenciennes pour une station balnéaire accueillante. Il s’était cloîtré dans sa chambre depuis plusieurs jours, tombé trop bas pour remonter. Il avait cru que plus personne ne l’aimait. Il est mort le 14 février 2004, le jour de la Saint-Valentin.


Sur Twitter @TheSpoonerWay

A retrouver sur carnetsport.com : http://www.carnetsport.com/un-jour-avec-pirate-marco-pantani-grandeur-et-dependance/