mercredi, mai 12, 2010

Octopus's garden

L’institutionnalisation du stade comme monument dans la ville est un phénomène récent, d’à peine une centaine d’années depuis la renaissance des Jeux Olympiques modernes et le retour du principe antique du stade au centre de la cité. Ce phénomène est apparu au bénéfice du regroupement dans les villes de masses populaires autour de lieux d’emploi.

La construction des stades résulte aussi bien d'une demande de public que de la création d'une offre de spectacles sportifs. En outre, la professionnalisation des sports et la fixation de règles durables sur de grandes zones géographiques ont permis l’établissement de compétitions élargies alliant enjeux identitaires, économiques et sociaux.

Le lieu du temps libre
De nombreuses grandes équipes sportives sont nées depuis le 19è s du financement des industriels locaux pour diverses raisons: sentiment d'appartenance à une autre "cause" que l'usine, cassage de façade de la hiérarchie, promotion de l'entreprise (souvent sponsor affiché du club) lors des compétitions ou des tournées, et contrôle passif du temps libre des salariés. Le stade est un lieu de regroupement qui peut accueillir une grande partie des salariés et des familles venus voir un membre de la famille, un collègue ou un ami, jouer. Lorsqu'on ne joue pas, il faut être dans les tribunes, c'est la canalisation du temps libre du nouveau salariat de masse de la Révolution industrielle. C'est le développement de loisirs populaires accessibles pour tous.

Un stade, pour quelles raisons ?
Le stade n’est pas une infrastructure en questionnement, sa légitimité n’est pas remise en cause, mais son rôle dans la ville a évolué vers des attributs qui n’ont plus rien à voir avec son implication originelle dans l’animation de la cité.

Un lieu de revendication
Le stade devient un lieu d’affrontement social et politique, que ce soit sur le terrain (des clubs historiquement ouvriers, Manchester City, contre des clubs historiquement bourgeois, Manchester United) ou dans les tribunes (placement selon les classes sociales, les virages regroupent les ouvriers car les places sont plus accessibles), voire un symbole nationaliste (Camp Nou à Barcelone). C’est un lieu de contestation, de revendication, qui n’a rien de guerrier, mais dont l’impact sur le public est fort.

Un lieu à fleur de peau
Nouveau pôle de centralité dans la cité, le stade est un lieu de récréation pacifiée depuis la renaissance de l’olympisme par Pierre de Coubertin, le symbole est d’autant plus fort lorsque que son usage est détourné (JO de Berlin, Vél d’Hiv’) ou qu’un drame s’y produit (Heysel, Hillsborough, Furiani).

Un lieu d’affirmation politique
Il est, de par sa place dans l’imagerie populaire, un fort enjeu pour la récupération politique que ce soit pour son image de force et de vitalité (le plus grand stade du monde est le stade May Day de Pyôngyang, 150 000 places) ou par le symbole de sa conquête (Victoire de l’Argentine en Coupe du monde 1978 en Argentine sous le régime des Colonels, ou la Chine 1ère nation au tableau des médailles lors des JO de 2008).

Un lieu miroir de la société
Le stade est un enjeu de politique intérieure d’un pays car il est le reflet du climat social, même si les médias peuvent parfois exagérer voire créer des phénomènes sociaux. Deux exemples peuvent illustrer cette tendance : la lutte contre le hooliganisme dans les stades anglais dans les années 80 fut considérée comme le miroir des tensions sociales sous le gouvernement Thatcher ; à l’inverse, la France Black-Blanc-Beur portée aux nues lors de la victoire des bleus en 1998 pendant une période de croissance économique. Plus récemment en France, les phénomènes d’incivilité (envahissement de la pelouse lors de France-Algérie, ou la Marseillaise sifflée lors de France-Tunisie) ont pris une ampleur médiatique et politique jamais atteinte précédemment, ce qui donne un exemple concret de la résonance possible lors de rencontres sportives en dehors d’une compétition officielle.

Un lieu miroir de l’économie
Lieu d’enjeux sociaux, lieu d’enjeux politiques, le stade est aussi un lieu d’enjeux économiques forts. Plus personne ne s’étonne des projets démesurés qui naissent pour des événements sportifs certes planétaires, mais extrêmement éphémères. Les stades actuels font partie intégrante d’un phénomène de métropolisation des grandes villes. Dans un souci d’attractivité des territoires, ils représentent un atout essentiel de marketing institutionnel et d’aménagement du territoire.

Du stade au complexe sportif
Son usage dépasse désormais celui du simple cadre sportif et culturel, « la structure stade » traduit de nouvelles attentes, celui d’un lieu de vie de la cité. Le stade devient donc un véritable pôle économique au sein de la ville car cela nécessite de nouveaux aménagements. Il faut des équipements commerciaux, culturels, il faut donc plus de place pour le construire et cela nécessite souvent son exclusion du centre de la ville. Il en résulte donc la création d’un nouveau pôle de centralité avec une grande diversité d’équipements et tous les réseaux de transports assurant sa desserte. Il n’est plus rare de trouver autour du stade, des sièges d’entreprises, un
centre commercial, un cinéma. Le stade devient presque un quartier à part entière de la ville avec tous les rôles que cette appellation induit : loisir, social, culturel, politique et économique, symbole des évolutions des pratiques dans la cité.

Et le stade rentre dans le quotidien
Les stades récents bénéficient donc d’une démarche beaucoup plus complète dans leur phase de réflexion et de conception. Il doit être représentatif de la modernité et du dynamisme des institutions publiques de son territoire comme des partenaires financiers des événements organisés, sponsors des équipes résidentes et des compétitions organisées, droit télévisuels des retransmissions, grandes chaînes commerciales participant à l’aménagement de la zone (centre commerciaux, hôtels). Il s’agit donc d’un confluent de nombreux intérêts dont le stade est la vitrine. Et comme toute vitrine il doit attirer du monde et profiter de l’opportunité d’un événement regroupant en un lieu plusieurs dizaines de milliers de personnes. Il faut donc avant tout pouvoir répondre à leurs attentes : se restaurer, se divertir et se loger avant et après une manifestation et pourquoi pas également les jours où il n’y pas d’événements dans le stade... Face à ses nouveaux besoins de consommation, les stades dits « historiques » construits généralement dans des centres-villes denses ne peuvent pas se renouveler et développer de nouvelles offres. Les grands clubs et les communes de grande taille tendent à vouloir pousser la création de ce genre de complexes là où l’espace et le financement le permettent, souvent en dehors des murs de la cité. Les exemples de l’Arena d’Amsterdam, du City of Manchester Stadium sont assez significatifs car ils bénéficient d’infrastructures leur permettant de devenir de véritables pôles en périphérie de la ville, attirant des populations plus larges que les seuls spectateurs d’un événement.

La volonté d’éloigner un stade du centre urbain n’est pas toujours une solution par défaut, c’est aussi l’occasion pour des territoires moins avantagés, voire sinistrés de bénéficier d’un accélérateur de projets. C’est le cas du Stade de France, initialement prévu en lointaine banlieue, Melun-Sénart, il a été rapproché de Paris dans une zone dense, Saint-Denis, mais économiquement à l’arrêt. Inauguré en 1998 dans un quasi no man’s land, le territoire proche du stade est devenu un grand pôle économique de l’Est parisien avec la construction de nombreux sièges de sociétés et une réhabilitation complète du quartier autour du Stade de France.

L’apprentissage difficile du rôle du stade
En France, le stade de Saint-Denis, un cas d’école, aurait du faire des émules. Les exemples de Lille, Grand stade Lille métropole, de Lyon, OL Land, et de Paris, le nouveau Stade Jean Bouin, sont emblématiques des blocages politiques, économiques et sociaux pour des projets qui restent coûteux pour la communauté et dont la rentabilité économique à long terme reste à prouver. Car un projet de stade est source de beaucoup de fantasmes de la part des investisseurs, des politiques et des potentiels utilisateurs. Mais la vie autour d’un stade, si bien organisée soit-elle, correspond-elle vraiment au bien-être collectif ?

Entre la cathédrale et la verrue
Tout projet à partir du moment où il bouscule l’existant est un sujet de crainte. De par sa taille et son coût, le stade est souvent un projet compliqué à faire accepter par tous, la concertation est nécessaire pour une opposition d’arguments souvent connus d’avance : c'est un lieu vide toute la semaine et qui ne fait que drainer une population potentiellement dangereuse, ou au moins qui entraîne de forts désagréments en termes de bruits, de stationnement et de propreté lors de des événements sportifs ou culturels. Cette description s'oppose à celle mettant en avant le rôle dynamique du stade dans un quartier avec les retombées économiques locales et une amélioration significative de son image (indirectement grâce aux vertus du sport). La question du stade dépasse très largement le cadre des riverains car il s’adresse avant tout aux supporteurs, aux publics de concerts ou autre qui voient un nouveau lieu pour leurs loirsirs comme un avantage. Ce sont donc deux camps bien identifiés qui s’affrontent et dans forts peu
de cas la solution apparaît évidente. L'arbitrage politique est donc essentiel pour que le stade ait une réelle utilité dans la ville et ne soit pas une coquille vide la majeure partie du temps. Le souci d’animation de la vie locale et du maintien de la qualité de vie est une priorité qui efface presque la notion de rentabilité économique.

La force du symbole
Le stade olympique de Montréal est un exemple marquant de la dichotomie entre le bénéfice image de la ville au niveau mondial et le déficit d’image au niveau local à cause d’un investissement sans fond et d’un paiement qui encore récemment restait problématique. Le stade est pourtant devenu un des symboles de la ville, notamment grâce à sa tour inclinée la plus grande du monde. Au niveau local en revanche, il reste un sujet tabou : le stade n’était pas fini lors de la cérémonie d’ouverture et a connu des problèmes de fonctionnement et d’entretien depuis.

Le bénéfice image d’un stade est tel aujourd’hui que le nom du stade se vend. Les nouveaux projets des grands stades sont tous soumis à cette nouvelle option financière appelée le « naming ». Les exemples européens les plus connus sont l’ « Emirates stadium » d’Arsenal qui a remplacé le mythique « Highbury » ou l’ « Allianz Arena » de Munich qui a remplacé l’« Olympiastadion ». Des villes sportivement moins prestigieuses ont déclaré être tentées comme Rennes et Le Mans en France, en attendant peut-être Lyon, Nice et Lille. Mais ce nouveau produit marketing n’a pas le même écho pour des clubs qui n’ont pas une forte histoire et un grand palmarès national et international (Lyon était encore en deuxième division il y a une vingtaine d’années). En France, il s’agit d’un potentiel de développement plutôt que d’une réelle opportunité à court terme. Le stade dans la ville devient un enjeu symbolique voire stratégique pour le rayonnement du territoire bien au-delà du cercle restreint des utilisateurs, qu’ils soient supporteurs de sport ou spectateurs de concerts. Il est essentiel donc d’élargir la fréquentation du stade dans l’intégralité de ses nouveaux usages afin qu’il soit le plus rentable possible au niveau économique et au niveau de l’image. Pour cela, le stade d’aujourd’hui s’est construit un nouveau paradigme où toute la population est partie prenante.

Quel avenir et quels usages ?
Les projets de nouveaux stades sont nombreux et pourtant peu voient vraiment le jour, pourquoi ? Le stade fait peur, le stade coûte cher, le stade crée des perturbations dans son environnement proche. Bien que son rôle a fortement évolué, le stade reste une infrastructure incomprise, généralement jusqu’au moment où il est construit… comme tout projet modifiant le quotidien des riverains, comme tout produit qui développe son propre intérêt une fois mis en service. Chaque nouveau projet de par son ampleur est soumis à une phase de concertation, période nécessaire pour rassurer les habitants du territoire. Beaucoup de sujets sont débattus, les nuisances et la question du financement en sont les principaux. Il est intéressant d’observer que peu de projets sont arrêtés pour ces deux raisons, mais pour d’autres…

Essentiellement les blocages des nouveaux projets correspondent aux nouveaux rôles du stade, à savoir l’identité pôle de centralité. Le Parc Saint-Jacques à Bâle illustre parfaitement les nouvelles obligations de l’infrastructure, en France les stades de Lille et de Lyon ont un peu de mal à intégrer ces caractéristiques. Un stade totalement hors de la ville n’est plus viable, il doit s’intégrer dans un tissu urbain et acquérir un rôle important dans la vie du quartier et de la ville. Un stade n’est plus viable si les réseaux de transport de toutes sortes ne sont pas suffisants. Enfin un stade n’est plus viable s’il ne propose pas une vie en dehors des événements qui permette de rentabiliser le coût des infrastructures d’accès. Si le projet de stade ne réunit pas ses
conditions, alors il ne peut pas jouer son rôle et demeure une faible valeur ajoutée pour la communauté.




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A retrouver sur carnetsport.com : http://www.carnetsport.com/le-stade-une-institution-au-dela-du-sport/