lundi, juillet 04, 2016

Les Bleus, cette fabrique à souvenirs

J’en frissonne encore, je crois à peine à ce que je vois, revois, redécouvre depuis 10 ans. Les ralentis du monde entier ne suffiront jamais à réellement réduire le plaisir ressenti pendant le match, pas de lassitude, pas d’ennui, du jeu et de l’enjeu, un spectacle exceptionnel qu’il ne sera possible de revivre que dans un cadre précis : une compétition international, une phase d’éliminations directes, deux grandes équipes, trois ballons d’or sur le terrain et un quatrième en devenir, des joueurs immenses. Tout était réuni pour un match de légende et chaque supporter de l’équipe de France s’en souviendra longtemps. C’était le 1er juillet 2006, il y a 10 ans, les deux derniers champions du monde s’affrontaient en quart de finale du mondial allemand à Francfort, c’était France-Brésil.
Les images sont connues, inutile de revenir sur le déroulé du match minute par minute. Pour Barthez, le match était même gagné avant l’entrée sur le terrain des équipes : « C’était EuroDisney dans le couloir. En rentrant sur le terrain, je savais qu’on allait passer. » Il force un peu le trait le divin chauve, mais les images du couloir sont rares : les plus grands joueurs de l’époque qui discutent, rigolent, se tapent dans le dos, le tout avant un quart de finale de la Coupe du monde. Un dernier moment normalement dédié à la concentration, à l’harangue contre l’adversaire, où chaque rangée de joueurs se toise, se défie ou s’ignore.
Ce n’est pas par les actions de but que le match se différencie des autres, c’est par les gestes, l’attitude, la beauté du spectacle, les ralentis sur les arabesques de Zidane, les feintes, les courses, les contrôles, une danse contemporaine improvisée et parfaitement exécutée. Un maître à jouer plus qu’un soliste, un virtuose qui à 34 ans approche une pureté sophistiquée. Il n’est pas sur un contrôle-passe classique, il n’est pas sur une possession absolue de la balle, il est sur une possession absolue du jeu.
Zidane n’était pas seul sur le terrain et réduire la victoire à ses gestes est une fausse image, accommodante pour le souvenir collectif. D’ailleurs, c’est le collectif de cette équipe qui a été le socle de l’expression du 10 français. Certaines vidéos montrent les gestes de la défense, les tacles, les oppositions de corps, les écrans pour isoler les Brésiliens dans un coin du terrain. Il faut voir le match d’Abidal, de Thuram, de Gallas, de Sagnol, leurs tacles, leur cohésion, leurs couvertures et leurs permutations. Il faut voir le match du meilleur milieu du monde avec Vieira, héros déjà consacré avec ses matchs contre le Togo et l’Espagne, et Makélélé. Une complémentarité physique et de compétence. Et puis l’attaque, Zidane, Malouda, Henry et Ribéry. Malouda et Ribéry, les deux suceurs de ligne attitrés qui vont dans les jambes, qui débordent, qui dédoublent, qui provoquent, qui usent et qui agacent. Et Henry, finaliste récent de la Ligue des champions, futur meilleur buteur de l’équipe de France mais qui en est encore loin. Henry qui se démarque de Roberto Carlos au moment où Zidane tire. La seule passe décisive de Zidane pour Henry, oui on finira par le savoir, « c’est un fait de jeu » comme Sagnol l’a dit. Ce serait une belle passe s’il ne fallait pas également retenir l’attitude de la défense brésilienne, magnifique de dilettantisme avec un Roberto Carlos qui fait ses lacets et en tout trois joueurs brésiliens pour cinq joueurs français dans la surface. Difficile de s’en plaindre mais il faut avouer que leur aide a été bienvenue.
Ce coup-franc, excentré, et cette manière de le tirer, on ne s’est jamais arrêté sur cette balle qui flotte haut dans le ciel et retombe au pied du deuxième poteau sur le pied accueillant de Thierry Henry. On n’a jamais trop parlé de ce pied droit de Zidane qui claque la balle, cette jambe qui s’arrête tout de suite après la frappe. Et chose plus curieuse, la jambe gauche, le pied d’appui qui fait un petit bond qui déséquilibre une fraction de second le corps juste après la frappe. Zidane s’arrête, regarde, lève les deux bras en marchant vers sa moitié de terrain. C’est Vieira, l’autre héros de cette coupe du monde qui lui saute dans les bras.
Thierry Henry célèbre à sa manière le but, une course tête baissée les bras le long du corps pour dire « mon job est fait ». Et puis un déclic, il n’ira pas le fêter seul au poteau de corner, un regard avec les autres et une course vers le banc accompagné du reste de l’équipe. C’est Chimbonda qui lui saute dessus. Et l’équipe reprend sa place, concentrée, solide, unie. Seul objectif compte, passer encore une fois le Brésil.
Et les changements de Domenech… La France mène depuis la 57e minute, tient son match, le sélectionneur fait trois changements : Ribéry, Malouda et Henry sortent. Qui rentre ? Trois attaquants : Govou, Wiltord et Saha. Oui. Et enfin, le coup-franc de Ronaldinho à la 89e minute à 18 mètres. Un tir qui rase la transversale, un tir que Barthez ne pouvait pas avoir si le ballon était redescendu un peu plus vite.
Joe Dassin aurait aussi le chanter comme ça : « Et je me souviens très bien, c’était il y a 10 ans, un siècle, une éternité ». Dimanche soir, l’équipe de France joue encore un quart de finale. Peu importe l’adversaire, il peut y avoir des matchs faciles mais il n’y a pas de match gagné d’avance. Il faudra le jouer et le gagner. Forcément s’il prenait aux joueurs de l’équipe de France l’idée de nous offrir un récital comme il y a 10 ans, ce serait encore plus beau. Certains matchs ne s’oublient pas, on connaît encore la composition des deux équipes presque par cœur. Peu probable qu’on retienne le nom des joueurs de l’Islande, peut-être que plus de gens arriveront à placer le pays sur une carte, c’est toujours ça de pris.
Plus que le résultat, on veut des souvenirs, on veut vibrer, on veut entendre les mots de Klopp à la mi-temps de Liverpool-Dortmund : « créez un moment que vous pourrez raconter à vos petits-enfants, rendez cette nuit spéciale pour les fans. » L’équipe de France n’est pas obligée de gagner toutes les compétitions, elle ne pourra pas et n’est obligée en rien. En 2006, elle n’a pas gagné, pourtant ces matchs étaient fabuleux et qui les a vus, s’en souvient. A deux jours de ce nouveau quart de finale, je suis déjà fébrile, le match passera vite et les jours défileront par la suite comme d’habitude. Ce serait tellement bien de se souvenir dans 10 ans de ce dimanche soir.

Sur twitter @TheSpoonerWay

A retrouver également ici : http://horsjeu.net/hors-sujet/bleus-cette-fabrique-a-souvenirs/

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil