Lettre ouverte à Bernard Tapie
Bonjour Bernard,
Je viens prendre des nouvelles. Pas facile, la maladie évidemment et
son lot de hauts et de bas, le cambriolage et sa violence. L’incendie du Phocéa
est déjà si loin. Tes vies t’ont appris que les vieilles planches et les bijoux
n’ont pas d’importance. Bête médiatique depuis 50 ans, tu es un peu partout de la
chanson des années 60, aux affaires des années 70, au sport des années 80, à la
politique du début des années 90 et depuis, cinéma, théâtre, chanson, médias et
procès. Ambitieux, truand, gouailleur, truqueur, orateur et leader, peu importe
les avis et les verdicts, ta vie, c’est le grand huit.
La sagesse guette, l’époque est à l’apaisement. Donc mettons tout de
côté, sauf le foot. Sauf l’OM. Sauf cette période dorée qui te fera rester dans
tant de cœurs. Oui, laissons même de côté ton retour éphémère en 2001. Tu as
façonné une partie de moi comme tu as façonné des dizaines de milliers
d’enfants. La génération spontanée des supporteurs de l’OM. J’en suis et c’est
ton œuvre. Comme pour Reims, Saint-Etienne, Lyon ou Paris, les grandes épopées
ont tatoué une identité commune pour des générations, puisque la passion d’un
club se transmet religieusement. Je suis né au foot un 14 avril 90 et un doublé
de Waddle contre Bordeaux, je suis devenu Marseillais 4 jours après, à la vue
de la main de Vata.
L’OM restera ta plus belle réussite en utilisant les mêmes recettes que
pour tes autres boîtes comme Terraillon, Wonder, Look, La Vie claire, Hinault,
Adidas. Reprendre, assainir (les comptes), alléger (les charges) avec cette
équation simpliste : les emplois supprimés s’effacent devant les
quelques-uns conservés. L’objectif est toujours affiché : le bénéfice. Voilà
comment l’OM s’est offerte à toi pour 1 franc symbolique, deux ans après sa
remontée en Division 1.
Sans être en avance sur ton temps, tu as su incarner ton époque où la
quête de l’argent dictait tous les écarts, en politique, en affaires et en
sport. Obnubilé par la notoriété, faire parler de L’OM, c’était faire parler de
toi, et inversement. Ne pas laisser indifférent, charmer, convaincre, dégouter,
occuper l’espace, quitte à le saturer. La télé a été tienne, radios crochets,
publicité, ton émission « Ambition », les émissions politiques et sportives,
Véronique et Davina, le théâtre, le cinéma (merci Lellouch) et la
reconnaissance ultime des 90’s, la marionnette aux Guignols de l’info. Nanard,
la truculence, la provocation, la Combine à Nanard et la burne. L’Académie française
a préféré « couillu » à « burné », tu es passé près de
l’immortalité.
Les réseaux sociaux aidant, les souvenirs glorieux de cet OM sont
systématiquement fêtés. J’ai atteint l’adolescence avec Bari, j’ai vu Furiani
en direct, j’ai connu l’extase de Munich, j’ai failli tout quitter après
Valenciennes. J’ai vibré pour tes joueurs, tu n’étais pas sur le terrain mais
tu étais l’incarnation de cette équipe. Tu as su persuader le monde que sans
toi, jamais de Papin, Waddle, Mozer, Pelé, Stojkovic, Voller, même Giresse ou
Tigana, ou de Vercruysse, Francescoli, Cantona, Boli ou Barthez, mais merde
quelle équipe. Je veux le triplé de Papin en finale de coupe de France, la
volée de Waddle contre Milan, la tête de Boli contre le PSG. Je veux le combat
médiatique contre la Cadillac de Bez et l’instrumentalisation de la province
populaire contre la capitale hautaine. Lisbonne, Bari, Valenciennes, Munich,
c’est le voyage initiatique de la France qui gagne. Mais à quel prix ? Sans
1993, 1998 existe-il ?
Dilemme footballistique, tu es dans le Panthéon des problèmes
insolubles, entre la tête de Zidane de 2006 et la main de Henry en 2009. Au
moins tu as ramené la Coupe à la maison. Aujourd’hui, tu es invité comme un
vieux sage pour parler de tout de rien et régaler l’auditoire de derniers
rugissements. On s’en fout et toi aussi, personne n’est dupe. Tu es vivant, tu
montres qu’on peut toujours se battre, qu’il ne faut jamais rien lâcher. Quand
tu chantes « C’est beau la vie », Doc Gynéco te répond « Y’a que
les morts qui ne parlent pas ». Reste. Tu cabotines si bien.